Chargez bourriques !

Il y a de cela quelques mois, un promeneur égaré, outré de l'état du trottoir et de ceux qui l'empruntaient, m'apostropha : " Ce monde est improbable et... pourtant il existe ". La phrase à peine terminée, l'homme virevolta et, avant que ses derniers mots ne retombent sur l'asphalte, je le vis s'éloigner. La phrase est restée. Quelle improbabilité ou impossibilité venait de se révéler à cet homme en fureur ? Mes yeux étaient-ils à ce point aveuglés, mes oreilles si sûrement fermées, mon odorat ?... Non, non, non. Dans cette rue, aucune étrangeté. J'y trouvais bien un boucher et son apprenti, un balayeur et son balai, l'épouse d'un général, quelques prescriptions de santé, une jeune prostituée, une passoire, quelques gouttes de transpiration, des sentiments non encore formulés, des fleurs, mais... pas de plantes.
Et parmi tout cela, un psychiatre qui se voulait d'autant plus rassurant qu'il était terrorisé. A l'inverse de mon marcheur scandalisé, je finis par me dire que la peur en psychiatrie participe d'un monde qui n'a rien d'improbable. Nous avons trop imaginé le domestiquer pour que, dans sa plus parfaite banalité, il nous apparaisse, sans s'être signalé, dans son atrocité.