Chemin de terre

Il y a les histoires qu'on invente, qui prennent le nom de romans, mais il existe - je l'ai appris un jour - de mystérieuses histoires, sans doute vécues, qui s'inscrivent sous forme de clichés, des histoires qui "agitent" la main de l'écrivain de façon impérative, des phrases inspirées et sans rature, une copie parfaite, un stylo au service d'un anonyme.
L'auteur devient alors un instrument, un témoin, que sais-je, un interprète, un correspondant, réalisant ainsi une oeuvre qui ne lui appartient pas, en un mot à la manière de l'écrivain public qui écrit pour un autre la lettre d'amour, confidence qu'il sait dire mais qu'il ne sait pas écrire.

Pour ce mystérieux et anonyme personnage, ce livre m'a été commandé. Est - il mort ou vivant? Je n'en sais rien. Sans nul doute, je ne le saurais jamais, mais ce que je sais, ce que je sens, c'est que ce chemin de terre existe quelque part dans les plaines de Picardie, du côté d'Amiens, un chemin oublié menant à la solitude; ce que je sais, ce que je sens, c'est que le bonheur est une étoile filante, ou le feu follet, ou le feu de paille. Nul ne peut le retenir, s'il n'a pas les mots qu'il faut lui dire.