Günter Grass l'honneur d'un homme

Romancier prolixe, orateur redouté, sculpteur et peintre reconnu (mais aussi, à ses heures, gourmet et cuisinier), Günter Grass a défendu toute sa vie une certaine vision de l'Allemagne. Son non-conformisme, son obstination lui ont gagné autant de partisans enthousiastes que de détracteurs acharnés, comme on a pu le mesurer lors de la parution de Toute une histoire, son dernier roman en date. C'est peut-être que l'auteur du Tambour s'est toujours efforcé de concilier le souvenir et l'action, la douleur et l'espoir : c'est lui, le chantre de la mémoire, qui est allé plaider la cause de l'Allemagne en Israël ; lui, l'ancien enfant de Dantzig, l'ennemi des pouvoirs autoritaires, qui a incité son ami Willy Brandt à tendre la main aux pays de l'Est ; lui encore, l'artiste, l'homme de lettres qui a bouleversé le jeu politique figé par les grands partis, en redonnant la parole aux citoyens ; lui, enfin, qui s'est fait le farouche opposant du chancelier Kohl et de son projet d'une grande Allemagne au nom d'une conception fédéraliste et culturelle.
Paradoxal, Grass ? Sans doute et c'est ce qui le rend si moderne aujourd'hui : sur l'Europe, sur les minorités ethniques (par sa mère, il est issu d'un peuple slave de Pologne), sur la domination des pouvoirs économiques, sur les dogmatismes de toutes sortes. Et enfin sur l'engagement : ce jouteur de préaux d'école, cet écrivain qui colle à l'histoire presque malgré lui, a toujours refusé, à l'opposé de Sartre, de se définir comme un écrivain engagé. Loin des systèmes et des débats idéologiques, il a su défendre, à travers l'idée démocratique, l'honneur de son pays et le sien propre. L'honneur d'un homme.