Les demeures du silence

Matias essaya de mettre en mouvement tout le complexe appareil des forces sociales que son nom, sinon ses amitiés personnelles, pouvait toucher. Des huissiers innombrables et des concierges de ministères l'acheminèrent par d'obscurs couloirs jusqu'à de grandes salles, hautes en plafond, au lustre doré de cinquante lampes, et aux meubles de style espagnol torturé, ornées de têtes de guerriers à casques d'animaux mythologiques sculptés par des artisans inconnus à la technique brutale et au goût douteux. Dans d'autres lieux plus fonctionnels le sol était couvert de marbre luisant et les lampes indirectes ou encastrées dans le plafond nu et sans moulure éclairaient des tables métalliques et des bureaux français dont la partie supérieure était tapissée de cuir vert, bordé de petits clous dorés. Derrière chacune de ces tables se tenait un visage souriant et énigmatique dont le sourire s'accentuait dès qu'il apprenait qui étaient les pères et oncles de Matias, puis devenait immédiatement fermé et perplexe lorsqu'il se rendait compte du genre de fréquentations qu'entretenait ce garçon, en apparence un peu dévoyé dont certains n'étaient pas sans connaître le goût pour les arts et la littérature et de-ci de-là quelques retentissants échecs au concours d'entrée dans de grandes écoles. "Je ferai tout mon possible." "Je dîne demain avec le Préfet de Police." "Je me renseignerai." Tels étaient les sibyllins oracles que des bouches si vénérables émettaient du haut de leur trépied d'extralucide.